top of page
Rechercher

ULTRA RUN RARAMURI 2022

  • Photo du rédacteur: Christophe Dain
    Christophe Dain
  • 20 avr. 2023
  • 22 min de lecture



aux origines des pionniers de la longue distance

et source d’inspiration du best seller « Born to Run »


22/04/2022

Depuis l’acceptation de ma participation à l’Ultra Run Raramuris par Jean-François Tantin, organisateur de l’événement, je me suis préparé au mieux avec une certaine pression et quelques peurs comme, en particulier, celle de sortir pour la première fois du territoire français.

Ce vendredi 22 Avril 2022, je dois laisser ma famille pour commencer un long, très long voyage. Le départ est difficile, jusqu’à Paris je me mets à penser que j’ai encore le temps de faire demi-tour. Il n’en est rien. D’abord un TER, ensuite un TGV, un métro et enfin un RER. Paris est anxiogène. J’arrive aux abords de l’aéroport Charles de Gaulle, je dois encore marcher et prendre une navette pour rejoindre le terminal. J’ai au moins deux heures devant moi avant l’embarquement. Je mange dans une cafétéria avant de passer les contrôles pour monter dans l’avion. Il est 16h quand l’appareil décolle. Mexico, 11h50 de vol. Par un heureux hasard, assis sur mon siège, je suis entouré d’un mexicain, Fausto et d’un médecin Raramuri qui exerce en Suède. Nous échangeons sur mon futur périple et mes deux compagnons me donnent quelques infos utiles. Guillermo m’apprend même quelques mots en Raramuri, génial ! Le voyage est long et épuisant. A l’arrivée, un enchaînement de contrôles me remplit d’impatience car j’ai hâte de me poser, surtout d’allonger mes jambes qui ont été bloquées plusieurs heures. Commence alors un interminable jeu de nerfs. Je dois trouver le moyen d’acquérir des pesos pour le taxi et un minimum de ravitaillement. Je cherche ensuite un taxi. Je trouve rapidement car il y en a des dizaines devant chaque sortie du terminal. J’arrive enfin à l’auberge de jeunesse, c’est la fête dans les rues aux alentours. Barbecues et musique un peu partout ! Je partagerai la chambre avec une autre personne, pas de problème. Je pose mes affaires, je profite du wifi pour donner des nouvelles à la famille et je mange un morceau. Quelques minutes après, je file faire quelques repérages pour me rendre à pied à l’aéroport le lendemain. Je trouve assez facilement, je prend les infos pour ne pas perdre de temps et je reviens tranquillement vers le logement. Les gens font la fête partout, les rues sont remplies, je vis un vrai choc des cultures, c’est impressionnant. Il y a de tout sur les trottoirs, des chapelles, des commerces, des « brocantes » ou « déchetteries » sauvages, des gens qui dansent, des gens qui mangent, des gens qui boient, ça me parait quelque peu excentrique… Je profite avant d’aller dormir. 22h30 (au Mexique), j’envoie un message grâce à la wifi (un bon réconfort) et je me couche. Je ne dors pas très bien à cause de la musique très forte et peut-être aussi à cause du décalage qui doit agir sur moi de façon inconsciente.


23/04/2022

Après une courte nuit, je me lève très tôt, 4h du matin. J’envoie un message à la famille et aux amis car je ne pourrais pas le faire dans l’avion ni peut-être avant la fin de la journée et l’arrivée à Barrancas del Cobre. Je marche jusqu’à l’aéroport et je prend une navette suspendue à une dizaine de mètres au-dessus du sol pour me rendre au terminal correspondant. Je fais de mon mieux pour m’exprimer en espagnol, surtout à un contrôle de douanes dont les agents s’interrogent sur mes bâtons de trail qu’ils ont trouvé dans mon sac. C’est passé en France… Finalement, après une discussion à six autour de la problématique, ils décident de me laisser passer et je peux aller embarquer en direction de Chihuahua. Je suis impatient de quitter cette ambiance pesante. Je vais vivre 3 aventures dans l’aventure : Le voyage aller, le défi Ultra Run Raramuris et le voyage retour. Je pense beaucoup à la famille, je vais apprendre, grandir, vivre, évoluer.

Dans l’avion, je retrouve Théo, Bernard et Jérôme, participants eux aussi de l’URR 2022. Un super contact très positif, nous sommes contents de nous voir.Les échanges sont instructifs et rassurants, nous sommes dans l’aventure. L’altitude du vol permet une belle vision du sol, beaucoup de collines, de montagnes avec plateaux et même des champs de différentes formes géométriques (cercles, rectangles, carrés), des rivières ou des traces qui déchirent les paysages de façon harmonieuse et anarchique, amusant !

Arrivée à l’aéroport, nous retrouvons Thierry et sa femme Isabelle, Johan le suédois, Gérard, Vanessa. Ensuite, Joan et sa femme Anne, les canadiens nous rejoignent. Enfin, Jean-François avec son équipe et Isabelle, elle aussi canadienne, arrivent avec les minibus. C’est bizarre, je ne suis pas, enfin, je ne sais pas où j’en suis. Partage d’émotions, triste (manque de la famille), heureux de vivre une belle aventure, impressionné en essayant de ne pas l’être. Le plus dur est de ne pas pouvoir communiquer avec Cindy et Tino. Pendant le transport, j’écoute Joan Roch expliquer comment il a écrit son livre, je suis attentif et inspiré. Mon corps est là mais y suis-Je ?

En fin de journée, après 5h de minibus, nous arrivons devant l’hébergement de Barrancas del Cobre. Nous déposons nos bagages et on me propose de partager un footing d’entraînement. Je m’estime chanceux. Je vis un moment d’exception dont je profite avec un immense plaisir de courir. Je cours aux côtés de Julien Chorrier (Athlète de haut niveau 2 fois vainqueur de la diagonale des fous), de Vanessa Morales (Adepte de défis ascensionnels … ), de Johan Steene (Recordman de Suède des 24h), de Pavel, de Jean-Philippe Lefief (Traducteur français de « Born to Run »), de Jérôme et de Simon Guignard (Futur grand athlète et traceur du parcours GPX de l’Ultra Run Raramuri). Ensuite, j’échange avec Joan Roch sur le port des Sandals (Huaraches) pour courir et nous mangeons le dîner tous ensemble. Magique ! Avant de dormir, je donne quelques nouvelles à la famille grâce à un magasin local qui a la wifi.


24/04/2022

Une bonne nuit de repos de 8h (sommeil profond de 6h) m’a redonné une belle forme. Ce matin, je suis bien la tête remplie d’idées de stratégie pour cette superbe course qui m’attend. Petit déjeuner composé d’œufs brouillés, de jambon et d’haricots noirs en compagnie de Pavel et Jérôme. Un quart d’heure plus tard, les autres nous rejoignent. Je vais ensuite au petit magasin pour donner des nouvelles à la famille et faire quelques courses. Je suis bien, apaisé. Dans la matinée, nous préparons nos sacs pour les Postes de Contrôle ou Control Post (CP) et je rejoins Johan pour entrer la trace GPX sur mon GPS. Génial, de la sécurité et de la confiance en plus.

En chemin, je croise Romain, partenaire de Jean-François pour l’événement, qui me transmets plusieurs infos intéressantes. Joan est présent et il nous amuse avec un masque de super héros qu’il compte mettre sur la ligne de départ. Thierry nous rejoint pour entrer lui aussi sa trace GPX. L’ambiance est sympa et chaleureuse, détendue. Je suis bien. Je retourne vers la chambre pour préparer le sac que je vais porté le lendemain. Julien, Vanessa et Thierry vont aller tester le leur en conditions réelles pendant un footing de 30 à 40 minutes. Je décide de les suivre. C’est génial cette ambiance qui me ressemble, je suis à ma place. Jean-Philippe et Simon nous accompagnent. Un bon moment de partage. C’est important cette solidarité avant d’être lâchés seuls sur les 190 km de l’ultra.

En revenant, j’optimise le contenu du sac et j’ajuste les derniers réglages. A cet instant, j’écris. Je suis cool. Bientôt, le repas tous ensemble. 13h, nous déposons nos sacs CP dans de plus grands en fonction du numéro de CP pour qu’ils soient transportés sur les points prévus. Nous récupérons nos dossards et nous sommes pris en photo pour le suivi en temps réel pendant la course. Les gens verront le petit bonhomme avancer sur la carte. Le repas, à l’image des précédents, est très simple avec son accompagnement de bings (haricots noirs). Repas avalé en 30 minutes, sieste de 15 minutes et go au magasin pour publier et appeler ma compagne. Je prends mon temps, c’est top ! Pas grand-chose à penser, quelques courses et je rentre au logement pour me poser en avalant un jus de fruits et une barre chocolatée. Un break dans la folie quotidienne me fait le plus grand bien. Cindy m’offre des photos et des vidéos de notre fils et d’elle-même. Ça fait chaud au cœur.

Retour au logement, je prends le temps de discuter avec plusieurs coureurs et des personnes du staff. Les Raramuris arrivent, nous les saluons. Ils sont soit timides, soit réservés car les échanges sont quasi inexistants et peu ou pas recherchés…

18h Briefing. Les infos importantes, présentation des Raramuris et de leurs palmarès plutôt impressionnants. On est dans le concret, la petite trentaine de coureurs aux deux cultures.

19h Fin avec le max de positivité, presque envie de partir tout de suite. Une douche « froide », derniers préparatifs avant le dîner. Celui-ci est rapidement avalé dans une ambiance concentrée. Nous ne tardons pas à aller nous coucher. Je me rapproche une dernière fois de l’épicerie pour envoyer un message à ma chérie. Je rentre au logement, je donne des soins préventifs à mon corps et au lit. Demain est une journée d’aventure…


25/04/2022

Lever 5h pour vérifier une dernière fois le sac, prendre un bon petit déjeuner et envoyer un dernier message à la famille. Après le départ, plus de possibilités de donner des nouvelles jusqu’à l’arrivée. Les proches pourront simplement suivre la balise sur internet (en fonction de la qualité du réseau). Nous nous rapprochons de la ligne de départ pour le briefing, le moment est inédit.

A 7h, après un simple décompte sur fond musical, nous partons. Je suis impressionné par l’ambiance si calme et silencieuse. Je démarre doucement, en queue de peloton. Julien et les Raramuris partent très vite loin devant. Je souhaite gérer. Je laisse mon corps me parler. Au bout de 5km, j’augmente ma cadence de pas et je commence à dépasser quelques coureurs pour trouver mon rythme. Je cours seul. Au quinzième kilomètre, je rejoins Vanessa, Johan et Pavel et je prends la tête du groupe. Après le vingtième, Pavel me double et file vers le CP 1. Je le retrouve quelques minutes plus tard, après 4h12min d’effort et 20km pour une pause bien méritée. Pavel s’en va rapidement et Johan se joint à moi pour manger un repas. C’est couscous pour moi, il est presque midi. Je repars 10min après Pavel. Jusqu’ici, le terrain était vallonné sans trop de dénivelé et la chaleur atténuée par l’ombre des arbres.


CP2 en 5h44min - 19km800

Je me sens bien quand j’attaque une belle descente. Je rattrape Pavel mais celui-ci préfère accélérer pour me distancer. La chaleur s’intensifie en frôlant, à ce moment de la journée, les 40/45°. Je poursuis en solo quand, au détour d’un virage sur un single en flanc de falaise, je tombe sur Pavel qui est allongé sur le sol. Je lui parle en anglais pour analyser la situation. Il est déshydraté. J’ai de l’eau, je lui offre deux gobelets pleins et une demie banane. Il revient légèrement à lui. Je l’aide à se relever et je lui dit de me suivre. Il s’exécute. Nous avons bientôt une vue sur la rivière en contrebas, j’en informe Pavel et je file à bonne allure pour boire, l’eau est potable. Je m’éclabousse, je remplis mes flasques et je bois le plus possible. J’attends Pavel pour être sûr qu’il va bien. Il arrive et nous sommes tous les deux soulagés de la présence de ce point d’eau naturel. Je laisse mon compagnon pour reprendre l’avancée à mon rythme. J’aperçois en bord de rive deux Raramuris qui ont l’air un peu épuisés. L’un d’entre eux a quelques blessures ensanglantées sur les jambes. J’essaie de prendre de ses nouvelles avec un espagnol approximatif. Il ne me répond pas mais nous nous comprenons quand même. Il me fait signe que c’est ok. Je continue, ils me suivent. Bientôt, nous devons traverser la rivière. J’enlève mes chaussures, je m’engage en direction de la rive opposée et je me plonge dans l’eau. A ma grande surprise, les 2 Raramuris me copient, c’est génial ! Nos regards se croisent et nous rions ensemble. Un moment d’exception incroyable ! Après m’être totalement immergé, je remets mes chaussures et je reprends mon chemin. Mes deux camarades du moment font de même et pendant plusieurs centaines de mètres à très faible allure à cause d’une chaleur écrasante, nous passons tantôt devant, tantôt derrière. Chacun notre tour, nous jouons le rôle d’emmener les deux autres. Bientôt, un des deux Raramuris s’arrête plus haut au niveau d’un autre de leurs coureurs. Quand nous arrivons à côté d’eux, mon « binôme » se joint à eux et je fais de même quelques secondes en immortalisant l’instant. Je suis étonné de voir un poste radio et d’entendre de la musique dans cet endroit aride du désert mexicain. Un des Raramuris a également en sa possession une énorme lampe torche. Comment font-ils pour courir avec ce matériel qu’ils portent en bandoulière. Je décide de continuer malgré plusieurs coups de chaud. Sur deux kilomètres jusqu’au CP2, j’alterne entre micro sieste et marche sur dix, vingt, cinquante, cent mètres, que c’est dur ! Et puis, j’aperçois le village. Un regain d’énergie me hisse jusqu’au ravitaillement. Je me pose, on me remplit mes flasques et ma gourde, j’enlève mes chaussures et je bois beaucoup. Je récupère mon sac de nourriture et je vais m’installer sur un tapis posé à même le sol dans une pièce voisine. Pendant mon repos, Pavel arrive. Je suis très affaibli mais mon ami tchèque est pire que moi. Je m’arrête quarante minutes. J’ai simplement fermé les yeux pour reposer le corps et j’ai surtout bien mangé. Je m’équipe à nouveau et je repars en direction du CP3, peut-être avant la nuit ?


CP3 en 7h05min - 20km900 - Etape très difficile, fort dénivelé 1740m D+

Après avoir quitté le CP2, je devais refaire deux kilomètres en sens inverse pour retrouver une intersection et prendre le deuxième chemin laissé à l’aller. D’ailleurs, ce passage a causé bien des problèmes d’orientation à certains coureurs occidentaux. Je m’engage derrière un portail pour trouver un single. Au bout de quelques centaines de mètres, j’ai une sensation de tourner en rond et je ne trouve plus le balisage. Je me contrains à sortir le GPS. La trace GPX me permet, après deux erreurs de revenir sur le bon chemin. Mon retard a donné à Pavel l’occasion de me rattraper. Nous filons maintenant, accompagnés de la tombée de la nuit, vers la rivière. Je commence à ne plus voir le parcours. Je laisse partir Pavel et je choisis de prendre une frontale. Idée judicieuse car une descente très dangereuse se présente. Le sol très sec est jonché de petits cailloux. Je suis obligé de descendre sur les fesses et de m’aider des bâtons pour ne pas glisser sinon c’est une chute de dix mètres. Avec de la chance, on atterrit sur la passerelle ou par malchance c’est direct dans la rivière. Je m’en sors et je me retrouve sur une espèce de pont de singe très instable. Je le traverse dans la pénombre. Je vois un panneau indiquant un petit sentier pour aller chercher de l’eau à la rivière. Je vérifie mes réserves, ça suffira, je continue. Commence alors une interminable montée en lacets sur un sentier très étroit. Je me mets en tête d’arriver entre minuit et une heure du matin pour me reposer une heure et repartir afin d’atteindre la barre des cent kilomètres au petit matin soit en vingt-quatre heures.

J’avance seul dans la nuit sur un interminable single. J’aperçois 2 Raramuris, à peut-être cinq cent mètres l’un de l’autre, qui dorment sur le chemin. En enjambant l’un d’eux placé en travers du chemin, je tape dans sa jambe avec mon pied. Il lève la tête et me lance dans son espagnol « otros ? » et moi de lui répondre « no, solo mi ». Il repose sa tête pour dormir et je continue malgré la fatigue. Je fais plusieurs micro siestes de trois à cinq minutes et, enfin au bout de l’effort dans le froid piquant du plateau, je réussis à arriver au milieu de la nuit, un peu avant une heure du matin, au CP3. L’abri est chez l’habitant, la porte est fermée, des chiens aboient, aucun mouvement et … quelqu’un sort d’une tente, un gars de l’assistance, puis quelqu’un d’autre, un des trois reporters qui vont faire un reportage sur la course, en particulier sur les canadiens qui y participent. Finalement, on s’occupe de moi avec une soupe chaude, je récupère mon sac de ravito et je me déchausse. La caméra tourne, je réponds à quelques questions, un moment sympa à cette heure de la nuit. On m’annonce être seulement le deuxième occidental à être arrivé jusqu’ici, une surprise pour moi. Où est Pavel ? Où sont les autres ? Je m’inquiète un peu. Je choisis de me poser et je ferme les yeux une dizaine de minutes. Je mets la sonnerie de la montre à une heure quarante-cinq pour repartir à deux heures et ne pas perdre trop de temps sur mon avancée. Je remercie mes hôtes et je repars en marchant pour que le corps s’adapte à nouveau à l’effort prévu. J’évolue dans la nuit.


CP4 en 6h - 29km100

Cette étape n’a pas trop d’intérêt. Les chemins sont longs et monotones. Je trottine parfois et je marche souvent à bonne cadence. Au petit matin, je ne suis plus très loin du CP4 et aux environs des huit heures, je suis arrivé. On me sert une boisson chaude et un secouriste s’occupe de strapper ma cheville au tendon douloureux. Je suis content car mon objectif des cent kilomètres en vingt-quatre heures est atteint. Je mange et je décide de fermer les yeux une dizaine de minutes. Je n’arrive pas à dormir. Allongé sur le sol, je vois alors arriver Jérôme qui m’a rattrapé. Je suis partagé entre la joie de voir un camarade et le stress de voir revenir un concurrent. Je me relève après quarante-cinq minutes et je décide de repartir aussitôt.


CP5 en 7h02min - 34km300

C’est le début d’une très longue descente dans laquelle j’essaie de trottiner. La chaleur augmente au fur et à mesure des kilomètres. Je passe une ville en croisant quelques personnes. Pas de contact, j’observe et je marche. Après une dernière rue, j’avance sur des routes goudronnées sur lesquelles le soleil réverbère, ça devient insoutenable. Je ne suis pas à mon aise et je ralentis. Je vois des carcasses d’animaux sur les bords de route. Un décor digne de bons vieux films de western. Pendant ce temps, Jérôme revient sur moi et me dépasse. J’essaie difficilement de rester à son contact et bientôt, nous décidons de continuer ensemble. Un Raramuri nous passe devant à une allure trop rapide pour nous, nous n’essayons même pas de le suivre, autant impressionnant que frustrant.

Nous arrivons à un lac dans lequel nous nous rafraichissons quelques minutes. A ce moment, il nous reste environ vingt kilomètres jusqu’au prochain CP. Nous sommes sur la plus longue étape de la course. Nous repartons mais la suite est un long calvaire. La chaleur avoisine les cinquante degrés et nous montons, Jérôme a souvent mal au dos et je souffre de coups de chaud. Nous faisons de nombreuses pauses, nous rationnons notre eau, nous partageons un sachet de bonbons (un peu de plaisir). Nous luttons jusqu’au CP5 qui est situé dans la cour d’une école. A notre arrivée, des enfants jouent pendant que nous nous écroulons sur le sol pour nous restaurer et dormir un instant. Petite anecdote : certains sacs de ravitaillement personnel ont été attrapés et dévoré par des chiens. Par chance, les nôtres y ont échappé mais nous sommes désolés pour nos camarades. Arrêt quarante-cinq minutes, nous ne traînons pas pour continuer, il ne reste qu’un seul CP et deux étapes.


CP6 en 3h45min - 17km200

L’avancée se fait essentiellement en marchant à un bon rythme en bonne entente. La douleur au tendon d’Achille se fait ressentir davantage. Les paysages sont magnifiques, de grandes falaises nous surplombent. Nous arrivons rapidement au CP6 où une vieille dame et une jeune fille nous attendent pour nous permettre de nous ravitailler et de nous poser un petit quart d’heure. Nous ne pouvons pas dormir à cause d’un sol caillouteux et du froid survenu avec la tombée de la nuit. Nous nous arrêtons simplement trente minutes.


Final en 4h24min - 21km500

Je souffre énormément du tendon d’Achille, la cadence est ralentie par mon handicap et je suis gêné pour mon compagnon car lui semble bien. Après une dizaine de kilomètres et la vision magique de l’ « Orient Express » (grand train de marchandises typique du Mexique), nous faisons un stop et Jérôme me fait un strapp à l’aide d’une bande d’élasto qu’il sort de son sac. Le maintien me permet une meilleure foulée sur 2 ou 3 kilomètres mais la souffrance revient malgré tout. J’insiste pour que Jérôme parte devant pour profiter de sa bonne forme du moment mais il hésite. Et, à 3km du finish, il se décide enfin. Il part à vive allure et je termine seul en trottinant. J’évite une agression de chiens errants et je retrouve la route conduisant à notre hébergement. La ligne est à quelques dizaines de mètres. Je réalise à cet instant que je viens de vivre une aventure extraordinaire avec en prime un top 10 sur la trentaine de bons athlètes ayant pris le départ. Je profite, je suis venu, je l’ai fait, j’étais et je suis à ma place.


Total arrêts : 3h50min - Total avancée : 38h44min - Temps de course : 42h34min


27/04

La nuit a été courte mais réparatrice (j’ai eu la chance d’arriver tôt dans la nuit). Je me réveille avec la faim. Je vais au petit déjeuner avec les autres coureurs qui me félicitent. Qu’ai-je fait ? J’ai vécu un beau challenge, j’ai terminé l’Ultra Run Raramuris 2022. Je partage ma joie avec les autres aventuriers au palmarès incroyable. Je profite de chaque instant. Un appel à ma famille. Je regarde quelques messages sur les réseaux, je craque, je relâche une certaine pression. Je mesure l’impact de mon projet. Plus tard, avec plusieurs, on boit une bière, on discute. Joan Roch est là, on parle de son premier livre, je lui exprime son côté inspirant. Il m’offre son deuxième avec une dédicace. Je suis émerveillé, tout est beau dans l’aventure. Je suis heureux, je suis vivant ! Bientôt, je retrouverai mon fils, ma femme, ma famille. La journée se passe tranquillement avec l’arrivée des derniers coureurs. Olivia et Isabelle en terminent juste avant le repas. Il manque Gérard…

En attendant, je vais à la supérette pour envoyer quelques messages à Cindy. Je m’achète à manger et je prends un goûter composé de tacos et de sardines. Gérard n’est toujours pas là, l’inquiétude monte. Les organisateurs vont tenter d’aller à sa rencontre. Il y a à peine une dizaine de minutes qu’ils sont partis quand soudain, il apparaît de nulle part, titubant, exténué. Il a fait une chute dans un ravin et a été secouru par deux femmes Raramuris, une belle frayeur pour lui au dénouement heureux pour tous. Le moment est fort en émotions. Après une bonne douche, Gérard va mieux, il se ravitaille et il part dormir pour une longue nuit. Je passe quelques instants à discuter avec les uns et les autres avant de retourner dans ma chambre pour ranger mon sac avant le dîner. Ensuite, nous nous rejoignons autour d’une bonne tablée, l’ambiance est relâchée, du vin, un bon saucisson (Julien en a ramené de l’Ardèche) et un bon repas. Très vite, je tombe de fatigue. Je salue le groupe et je m’en vais me coucher.


28/04

A part quelques réveils à cause d’un mal aux jambes, d’un nez bouché ou d’un besoin d’aller aux toilettes, je passe une très bonne nuit et mon sommeil a été réparateur. Je prend un petit déjeuner tranquille autour de discussions agréables et intéressantes. Nous faisons plus ample connaissance. Vanessa nous raconte son ascension du kilimandjaro. Ensuite, nous prévoyons de, peut-être, faire la plus longue tyrolienne du Mexique (environ 2500m). Pour l’atteindre, nous marchons pendant une heure. Malheureusement, la première session est à 11h30 et nous devons être de retour devant notre hébergement avant 13h, le timing est beaucoup trop juste. Tant pis, nous effectuons quelques achats de souvenirs dans un marché artisanal avant de rentrer par le sentier qui passe à flanc de falaise. De belles photos et de sympathiques échanges sur un fond de pas trottinés. On apprécie l’instant présent et les derniers moments dans la région de Barrancas del Cobre.

A 13h/13h30, nous sommes de retour pour la remise des prix. Je n’ai pas encore donné de nouvelles à la famille depuis le matin. Je le ferai un peu plus tard car on nous appelle. Jean-François, l’organisateur, prend la parole pour procéder à l’annonce des résultats. Les occidents arborent de beaux visages expressifs et les Raramuris n’ont pas la moindre réaction. La communication semble difficile pour ce peuple qui reste très réservé ou peut-être méfiant ou encore impressionné… On peut se demander pourquoi ils sont participants d’une telle course, l’appât du gain ? une course comme un moyen d’apporter un peu de confort à leurs familles, leur village ?

Arrive mon tour, je suis huitième sur vingt-sept. Jean-François me présente, moi, le Rouqui, comme disent les anciens. Il me demande si je souhaite dire un mot, j’accepte et je craque, l’émotion m’envahit. Il me faut plusieurs secondes pour aligner quelques mots. Je suis impressionné. Je remercie tous les coureurs, ces sportifs renommés aux palmarès incroyables. Les mêmes que j’admire et que je suis sur les réseaux, les mêmes dont j’ai lu certains bouquins, les mêmes pour lesquels j’ai un profond respect et je suis là parmi eux. Je vis un grand moment ! L’après-midi est cool, je pars en balade avec Joan et sa femme Anne, nous échangeons sur tout, un bonheur ! Nous profitons du coucher de soleil. A notre retour, un buffet nous attend avec quelques bières, une belle soirée. Un relâchement et un repos bien mérités avant de quitter Barrancas del Cobre.


29/04

Je me lève à 7h. Le petit déjeuner commence à 7h30. Surprise : on nous sert des pancakes et des œufs pochés, génial ! Tout le monde est tranquille. Ensuite, nous chargeons les valises dans les « minibus » et je vais une dernière fois à la supérette pour téléphoner à la famille.

Départ 10h de l’hébergement en direction de Chihuahua. La route est très abîmée, tumultueuse et notre chauffeur est excité, voir un peu fou ! Les règles de sécurité sont pratiquement inexistantes. Plusieurs d’entre nous sont malades et nous sommes même obligés de faire une halte. Nous arrivons tant bien que mal à 15h à l’hôtel « Plaza » dans le centre de Chihuahua. Nous prenons le temps de nous reposer après les émotions fortes, nous allons faire des balades en différents petits groupes et nous préparons les formalités pour le long voyage qui nous attend tous le lendemain.

A 19h30, nous nous rassemblons dans le hall de l’hôtel pour la surprise prévue par Jean-François. Ce dernier nous emmène dans un immeuble avec un restaurant situé tout en haut, la vue est magnifique. A la tombée de la nuit, les éclairages de certains monuments nous plongent dans une ambiance magique. Ensuite, nous partageons un apéritif et plusieurs boissons, nous mangeons et nous rigolons tous ensemble, le temps est propice aux anecdotes. Nous profitons de ce moment rare dans nos vies de sportifs. L’envie de faire les fous est de plus en plus forte au fur et à mesure de la soirée et le lâcher prise se fait sentir. Une dernière bière au restaurant nous propulse vers le centre ville et un bar à ambiance. Et au fil de quelques tournées, nous voilà en train de danser et délirer jusqu’à 1h du matin. A la sortie du bar, nous immortalisons cette soirée de partage et nous nous séparons. Certains iront continuer la fête quelque part et d’autres comme moi rentreront dormir à l’hôtel. La nuit est paisible.


30/04

Lever 7h45 sans réveil avec un beau mal aux cheveux, un peu barbouillé. Je bois une grande rasade d’eau et je pars à la recherche de mes camarades. Nous devons faire un test PCR pour pouvoir passer les frontières entre les pays. Je les retrouve au quatrième étage, ils prennent leur petit déjeuner en terrasse, la vue est splendide. Je me joins à eux avant d’aller au laboratoire. Tout va pour le mieux, le test est négatif, ouf. Ensuite, je rentre vite à l’hôtel pour assister avec une réelle émotion aux départs successifs de plusieurs de mes amis du Mexique. J’espère avoir la chance de les revoir… Nous ne sommes plus que huit à onze heures. Peut-être un partage d’un dernier repas avec ceux qui attendent leur tour dans l’après-midi ? Pour le moment, je me repose avant un long voyage. Bientôt, Jean-François, Romain, Gérard et Olivia partent, il est midi. Encore un peu de tristesse. Nous ne sommes plus que quatre. Nous errons dans les rues de Chihuahua, nous prenons un repas dans un fast-food sans trop de légumes et la dose de piments à la mexicaine. Nous faisons une dernière balade avant de nous poser dans le canapé de l’entrée de l’hôtel en attendant nos taxis. Il est 15h quand nous montons dans les véhicules en direction de l’aéroport. 1h après notre arrivée, nous embarquons et je profite des deux heures de vol pour dormir. Nous atterrissons à Mexico à 21h.

Mes trois derniers compagnons enchaînent avec leur prochain vol pour la France, je leur dit au revoir avec la peur de la solitude. Mon vol via les USA ne part que le lendemain matin. Ma famille me manque, mon fils, ma chérie. Je prends sur moi et je me dirige vers l’auberge de jeunesse qui m’a accueilli dix jours plus tôt. J’emprunte les mêmes rues animées de festivités autour de nombreux barbecues. Je m’installe rapidement, je mange un plat lyophilisé et je me couche sans tarder.


01/05

Lever 4h30, je prend une douche, un petit déjeuner rapide, je suis motivé. Deux vols et je suis à la maison. Je suis très en avance. Je vais faire les démarches administratives et là, surprise, très mauvaise surprise ! On me refuse l’accès à l’avion, il faut obligatoirement un visa pour passer aux USA. Je ne comprends pas, j’avais lu sur les sites des compagnies, que ce n’était pas nécessaire quand on faisait une simple escale sans sortir de l’aéroport. Rien à faire, pas de solution(s), je panique ! Je bafouille mon anglais et encore plus mon espagnol. Je n’arrive ni à entendre, ni à comprendre ce que me dit la personne en face de moi. Je respire profondément, je me calme et je me concentre. Enfin, je capte que la conseillère me transfère sur un autre vol en fin de journée sans escale(s) et direct pour Paris. Je suis soulagé, pas grave d’attendre une journée dans l’aéroport de Mexico du moment que je rentre. Pour être sûr de ne pas rater l’embarquement en début de soirée, je prends la décision de ne pas sortir. Je cherche un endroit pour prendre un petit déjeuner pour me remettre de mes émotions et je contacte mon amie pour qu’elle essaie de me confirmer en appelant « air France » que je suis bien transférer sur le vol en direction de Paris. Plusieurs minutes après, elle me rappelle, tout est ok, ouf ! Je décide ensuite de flâner, il y a de quoi faire avec les nombreuse boutiques. J’en profiterai aussi pour écrire quelques lignes pour mon résumé. Je commence à me croire dans le film « le terminal » avec Tom Hanks. Je suis le héros de mon histoire. Je fais des achats, je vais au musée de l’aviation, j’écris, j’achète un dictionnaire d’espagnol et j’apprends plusieurs mots qui me sont utiles pour la suite de ma journée. Je suis en train de vivre une véritable aventure sur un jour interminable. Je suis pratiquement tout le temps accompagné d’un stress tantôt passager, tantôt envahissant avec la peur de rester bloqué au Mexique. Après tout, c’est la première fois que je sors de France et je n’ai pas beaucoup d’infos. Les déplacements continus des voyageurs sont un drôle de manège, je fais de mon mieux pour conserver mon calme et ma positivité avec des contacts réguliers avec ma chérie. Vivement la fin du calvaire en posant un pied en France.

Une grande réussite doit-elle être suivie d’une forme de grande défaillance, comme une dépression faisant suite à l’aboutissement d’un objectif longuement préparé ? Est-ce l’équilibre des choses ?

Arrive enfin 16h et l’ouverture des enregistrements aux guichets « Air France ». Je me présente, on prend mes documents et je ressens un stress m’envahir. La dame fait des mimiques, elle s’interroge, je lui explique et… finalement elle me tend le billet libérateur. Je crois pleurer, je pousse un grand soupir de soulagement, elle me sourit. Enfin, la meilleure nouvelle de la journée, la situation s’améliore. J’ai ma porte d’embarquement, j’y vais tout de suite, j’attendrai devant la porte pendant trois heures si il le faut. Je me pose, je mange encore (mon anti-stress), j’évacue mon anxiété. Je correspond avec ma chérie via les réseaux. Je me sens bien mieux.

18h30 - Je suis le premier à embarquer mais… ce n’est pas fini…

On nous annonce une escale obligée à Cancun en raison d’un fret aérien, décidément et pour ajouter encore un peu de suspens à la situation, l’escalator reliée à la porte de l’appareil qui nous a servit pour monter à bord ne veut pas se détacher. Le départ est retardé d’une heure, galère quand tu nous tient. Je ne sais pas pourquoi mais je me dis alors que mon retour se mérite. Mes nerfs sont à deux doigts de lâcher mais je m’accroche. L’avion décolle. On s’éloigne de Mexico. Escale de 45 minutes à Cancun comme prévu. C’est bon, on repart, prochain arrêt Paris. Des films, des collations, des siestes, des moments d’écriture, je revis, le stress s’en va.

L’avion atterri enfin. Une autre mission m’attend, trouver un TGV et un train pour rentrer en Vendée. Avec les retards cumulés, mes billets ne sont plus bons et je dois, soit les changer, soit en acheter d’autres. Je ne cherche même pas à échanger car c’est trop compliqué, j’en achète d’autres. Je monte dans le TGV. Il a lui aussi du retard, aie ! Je vais peut-être rater le dernier train à Nantes pour rejoindre les Sables d’Olonne. L’agent SNCF s’intéresse à mon aventure et à ma situation, elle fait de son mieux pour m’aider et un petit miracle se produit, le train à Nantes a également du retard et je pourrai le prendre, victoire. J’ai deux minutes pour y accéder à la sortie du TGV, je cours. Challenge relevé et réussi. Je suis dans le dernier train avant de retrouver mes proches. Tout va bien. Arrivé en gare, je descend sur le quai et je tombe dans les bras de ma chérie, je prends mon fils, nous sommes simplement heureux d’être à nouveau réunis, ensemble ! Je vais enfin pouvoir profiter de cette aventure incroyable et inédite.


 
 
 

Comments


bottom of page