L'impulsion d'une traversée (3ème partie)
- Christophe Dain
- 9 déc. 2023
- 17 min de lecture

3/ Stage 1 - Objectif Transpyrenea 2018
La fin d’année 2016 a été riche en prises de décision et en changements. C’est comme si mes envies enfouies étaient ressorties à puissance maxi. Mon dernier emploi m’a occupé pendant trois années, une première pour moi. Quelques désaccords dans les objectifs, ceux de l’entreprise ne me correspondant pas, m’ont fait choisir de me tourner vers d’autres chemins. Je commence donc 2017 dans un état d’esprit de liberté, certes un peu de peurs mais libre. Je souhaite prendre du temps pour écrire… Timidement, je débute avec le récit de la course dans les Pyrénées Atlantiques en Octobre 2016, fait marquant de ma vie sportive.
Je suis vite perdu. J’ai envie d’écrire et je ne trouve pas mon organisation. De plus, je ne suis pas serein, on me demande plein de démarches. Et oui, écrivain n’est pas encore un métier tant qu’une de tes productions (nouvelle ou livre) n’est pas lue. Je suis donc rattrapé par d’autres (anciens) projets. J’ai toujours eu un pied dans l’armée. Je décide donc de tenter ma chance, un peu vieux mais bon on verra. Mon idée est de devenir instructeur sportif. Je lance la machine et à ma grande surprise, on me fait faire toute une série de tests, je signe même un contrat en tant que réserviste. Je dois faire du service actif au minimum trente jours par an. Contrat de deux ans, sûrement l’âge… Je fais mes « classes » en Avril. Dur ! Intense et bénéfique. Je vois un autre décor de la société, un monde à part. Je ne sais plus quoi penser, utiliser une arme ne me passionne pas, je l’ai fait. Suis-je différent, suis-je plus endurci ?
En parallèle, j’ai intégré le centre de secours de la commune dans laquelle nous vivons en famille. Beaucoup ? Peut-être… J’avoue que je ne pensais pas que l’armée m’aurait recrutée donc l’entrée chez les pompiers, longtemps mise en suspend, était la solution pour être au service de mes concitoyens. Je disais souvent que je souhaitais exercer la vocation de pompier pour sauver. On m’a fait comprendre que l’on s’engage d’abord pour soi. Aujourd’hui, je suis d’accord. Je le fais pour moi et cette passion sert les autres. Quand on aime aider, il est difficile de dire : « Je le fais pour moi ! ». Avec un peu de recul, j’admets que c’est faisable et motivant.
Et ce n’est pas fini, en plus de tout cela, je me lance dans le coaching sportif afin d’être mon propre patron. Choix de mes horaires et liberté dans l’organisation. Je suis sollicité.
Me voilà réserviste de l’armée de terre, sapeur-pompier volontaire et coach sportif. La vie rêvée d’un joyeux fou. Tout se fait à la mission, à certains créneaux définis, une semaine sur trois donc c’est jouable. C’est génial, j’ai l’impression de jouer à un grand jeu avec plusieurs rôles. Un jour soldat, un jour pompier, un jour coach et écrivain dans tout ça ?
Le coaching et mes autres hobbies ne me permettant pas de subvenir totalement à mes besoins et à mes futurs objectifs, je choisis de faire une saison. Diplôme de Maître-Nageur en poche, ce n’est pas bien compliqué. Un gros projet m’anime et il demande de l’investissement personnel et quand même un peu financier (pour ne pas dire beaucoup). Le job saisonnier est à trente kilomètres de chez moi. Mon projet étant sportif (2018), je décide de faire le trajet en vélo quatre fois sur six jours travaillés. Je pense même le faire en courant et en marchant sur la fin de saison. Pourquoi ? Tout simplement parce que mon objectif 2018 est de traverser Les Pyrénées en autosuffisance en maximum dix-sept jours au moyen d’un événement sportif. Son petit nom : Transpyrenea ! Pour réaliser ce projet, il me faut investir du temps, de l’argent et toute mon énergie. La saison m’aura permis de faire le plein dans tous les domaines.
Malheureusement, ma fidèle amie Shorty, ma chienne de seize ans, a terminé sa vie bien remplie le 08 Août 2017. J’ai été très pris et mon deuil n’est peut-être pas complet. Je choisis donc de partir me ressourcer dans les montagnes et de me mettre à l’épreuve. Cent cinquante kilomètres en montagne sur quatre jours en solitaire et en autonomie complète.
Beaucoup d’activités m’attendent en cette fin d’année 2017 et en 2018. Je pense avoir trouvé mon organisation. Coach et écrivain à mi-temps, entraîneur de football le mercredi et quelques samedis et pompier une semaine sur trois. Le football, ce ne sera que pour un an, c’est décidé. Et l’armée ? Je ne sais pas, le voyage me permettra peut-être de faire le point.
J’organise mon planning de Septembre et je pars le jeudi 07 Septembre 2017, en train, en direction de Mérens-Les-Vals, point de départ de l’aventure. Deuxième étape en préparation de la Transpyrenea. Les forces de mon grand-père (personnalité importante dans ma vie partie à l’aube de mes vingt-trois ans), de mon amie Cindy et de Shorty m’accompagnent. Il était dur pour nous de nous dire « au revoir ». Le décor était glauque, triste. Je suis touché, ma compagne me manque déjà. Le train couchette n’est pas facile à supporter (chambrée de six), je prends sur moi. Après Toulouse, les cinq autres passagers descendent, je suis content de me retrouver seul. J’en profite pour écrire. Une pensée pour ma chérie, une pensée pour ma famille. Je vois les premières montagnes par la fenêtre de ma cabine, l’aventure commence…
Je suis animé par plusieurs motivations :
1/ Hommage à Shorty, présente lors de ma première étape, course de cent soixante-huit kilomètres dans les Pyrénées Catalanes et Atlantiques
2/ Défi personnel pour continuer mon évolution
3/ Engagement solidaire pour une association (une récolte de fonds pour enfants malades ou atteints de handicap(s) sera effectuée pendant la « course » « Transpyrenea » en Août 2018. Thème : acheter les kilomètres de Christophe pour lui envoyer de l’énergie et pour soutenir les enfants.)
Le train me dépose dans une heure, je choisis de me reposer un peu, je laisse le crayon…
Suite après la première journée.
08/09/2017
Arrivé en gare de MERENS-LES-VALS. Je suis seul à descendre, je me crois dans un film de western. Pendant un instant, je cherche le quai en pensant que je vais descendre sur la voie ferrée. Je trouve le petit aménagement et je sors directement sur une rue, pas de passage dans une gare. Mon bardage sur le dos, je suis en quête du GR10 (Chemin de Grande Randonnée qui traverse la totalité des Pyrénées). J’aperçois quelques pancartes, je dois comprendre leur sens d’avancée et si les directions qu’elles indiquent se trouvent bien sur mon itinéraire. Quinze minutes passent avant que je ne sois sûr de mon début de parcours. L’air est froid, la respiration différente. Je me lance et déjà la première côte, le souffle est dur à trouver, les efforts sont difficiles. Hier, j’étais en Vendée et ce matin je suis en haute montagne. Aïe, les poumons ! Les muscles aussi ne comprennent pas ce qui leur arrive. Je grimpe mille quatre cent mètres de dénivelé positif, interminable. En guise de sol, des gros cailloux et des rochers, calvaire… un souvenir d’un certain 100 miles. Les heures passent et l’objectif quarante-trois kilomètres du jour me paraît bien ambitieux. Heureusement, les amis les animaux sont là. Je fais le plein d’images, écureuils, troupeaux, marmottes, vautours, c’est la belle vie pour tout ce petit monde, un peu moins pour moi. Je me demande comment on peut faire cinquante kilomètres par jour pendant quinze jours. Le doute pour ma participation à la Transpyrenea me passe dans la tête. Tant pis, j’avance. Je descends un peu et monte beaucoup. Chaque montée me coupe le souffle, l’altitude ? En milieu d’après-midi, j’ai parcouru une vingtaine de kilomètres et j’ai fait de nombreuses pauses pour grignoter deux ou trois trucs et surtout pour boire. Il fait chaud et les efforts deviennent très difficiles. Ma patience est récompensée quand j’évolue enfin sur du plat et des descentes. Je cours ! Je me dis alors que je vais rattraper mon retard (en plus le matin, j’ai fait un détour de deux kilomètre cinq cent environ, pas vu le GR10 sur la droite). J’arrive à la station de ski BEILLE. Heureux de pouvoir remplir mes gourdes (je n’avais presque plus d’eau, ouf !), je me relâche et boum, la grosse chute ! Je m’étale sans pouvoir me rattraper. Entre dix et douze kilos sur le dos ajoutés à mon poids, ça pèse, dur de voir venir. Deux, trois petits bobos, rien de grave. Je fais remplir mes gourdes au bar de la station et je repars. On me dit qu’il y a une heure de descente et environ trois heures de montée pour rejoindre Siguer pour un bon marcheur. Suis-je un bon marcheur ? Je pense que oui car je suis un coureur… Je descends, une pancarte indique huit heures quarante minutes pour atteindre Siguer (allure deux kilomètres par heure). Je sais que je marche plus vite mais il est dix-huit heures et je risquerai d’arriver très tard dans la nuit. Mes forces m’abandonnent et mon mental n’est pas au top. J’aperçois une cabane donc je choisis de stopper pour aujourd’hui, trente-cinq kilomètres pour deux mille cent mètres de dénivelé positif. Je fais le tour de la petite bâtisse. Mauvaise surprise, celle-ci est en travaux et inaccessible, décidément. Je m’aménage un bivouac de fortune près d’un gros rocher à l’aide de mon poncho. Je cale mon duvet sous une paroi du rocher et je bloque le poncho dessus avec des grosses pierres. J’utilise des bouts de cordelettes pour attacher l’autre extrémité sur des petites branches plantées dans le sol. Je suis content de ma tente système D. Ensuite, je me prépare à manger, je m’occupe un peu de moi et j’appelle mon amie. Du réconfort ! Je dors au centre d’une clairière au milieu des montagnes. Je rassemble mon équipement sous mon abri de fortune et je me glisse dans mon duvet. Il me faut un peu de temps pour m’endormir. La nuit est agitée, je ne trouve pas la position adaptée, le sol est dur. Je dors par petites portions. Dans la nuit, j’entends un hibou et quelques minutes plus tard, le groin d’un sanglier qui renifle à quelques centimètres de mon visage recouvert du poncho. Pas rassurant ! Sur mes gardes, je ne bouge pas, couteau en main au cas où ... L’animal finit par s’éloigner. Ouf ! J’essaie de dormir encore un peu. Départ de la deuxième journée prévu au lever du jour…
09/09/2017
Six heures quarante-cinq du matin, je me lève en croyant qu’il fait jour, il n’en est rien. Je me prépare à l’aide de ma frontale, je prends un petit déjeuner et je démarre la deuxième journée. Je me demande si je dois revoir mes objectifs à la baisse au regard des difficultés de la veille. J’avance et je verrai au fur et à mesure. Je commence à nouveau par une côte, mille deux cent mètres de dénivelé positif. Tout se passe bien. Onze kilomètres en trois heures, je suis dans les temps. La brume est présente et bientôt la pluie, elle est de plus en plus forte, la chance n’est pas de mon côté ! La brume grossit et m’empêche de voir le chemin. Des randonneurs apparaissent en face de moi (d’autres fous) donc je pense être sur la bonne voie. Mes vêtements sont de plus en plus mouillés, je sors le poncho. ET ce n’est pas fini. Le vent se mêle à la partie, il est froid, glacial même. Mes doigts sont rouges, gelés, je suis trempé et je continue. Je glisse dans les descentes qui doivent m’amener à SIGUER, l’inaccessible ! Je ne me sens pas à mon aise, le poncho est le bienvenu. Des arbres montrent le bout de leur nez. Merci les amis ! Je descends encore et enfin, j’aperçois la mairie. Je rentre sous une véranda ouverte, je décide de faire la pause repas en tentant de me réchauffer. Je me sèche et je fais chauffer mon déjeuner. En mangeant, je m’aperçois que je suis à GESTIES et non à SIGUER, décidément inaccessible. Rien de grave, c’est juste un ou deux kilomètres en dessous.
Le froid et la fatigue me font réfléchir et j’entreprends de passer par les départementales. Les sols du GR10 sont rendus dangereux à cause de la pluie et de la boue. Je téléphone à mon amie, elle me donne quelques infos. Nous raccrochons, je m’habille et je ne suis pas en phase avec l’idée de passer par la route… Pendant la Transpyrenea, je n’aurai pas le choix. Certes, je peux faire des étapes moins longues pour le moment, pour apprendre, mais je ne peux pas sortir du GR10. Je rassemble mes forces et c’est reparti. Je passe enfin par SIGUER et je fais le plein en eau.
Une grosse côte m’attend, je monte pendant une heure trente à deux heures, je ne sais plus. Le rythme est bon, je ne réfléchis pas. Arrivé en haut, je crois que je vais redescendre pour remonter plus loin sur un autre col. Et bien non, je descends et j’avance même sur des chemins plats, oui, plats ! Je peux courir et je prends beaucoup de plaisir à le faire. Prochaine étape GOULIER. J’arrive à une intersection, soit le GR10b (non très peu pour moi), soit le GR10 normal qui va à GOULIER. Une heure et vint minutes annoncé. Je me dis : « Au petit trot, quarante-cinq minutes ». Je m’exécute et j’arrive rapidement. Même temps de déplacement que la veille pour trente-trois kilomètres et deux mille quatre cent mètres de dénivelé positif. Je sillonne la ville et je cherche des infos sur un éventuel refuge un peu plus loin. Je ne veux pas risquer de dormir en pleine montagne sans abri. Je ne vois personne et un papier du maire indique que le relai d’Endron est fermé mais que les randonneurs peuvent quand même squatter sous le porche. Je décide d’aller voir. Arrivé sur place, mes épaules me font souffrir, le sac est lourd. Il y a de la place, le confort minimum et …. De l’eau, génial ! Je décide de m’arrêter là pour ce soir. Je vais me restaurer et demain, je serai d’attaque. J’appelle mon amie pour la rassurer et nous élaborons diverses stratégies pour mes parcours futurs. Ensuite, je recharge mes appareils (chouette le panneau solaire !), je me lave (deux jours sans, quel bien !) et je me soigne. Grâce à l’eau disponible, je peux me faire un bon repas : une soupe, un plat, un dessert et une infusion. Je prépare mes affaires pour le lendemain et je programme mon réveil pour cinq heures vingt du matin. Je décide de partir de nuit pour gagner un peu de temps. L’aventure continue. Je me sens rassuré, je vois les points d’amélioration et l’organisation à mettre en place pour 2018. Je laisse le crayon et je me couche l’esprit libre, les pensées sereines, Shorty est avec moi…
10/09/2017
Réveil facile après une bonne nuit, petit déjeuner et départ de GOULIER avec pour objectif d’atteindre AULUS-LES-BAINS avant la fin de journée et peut-être plus…ça commence par monter, rien de méchant. Je vais bien et j’accélère le pas dès que je le peux. L’ascension est parsemée de petits tronçons plats. J’arrive vite à ARTIES et MARC. Je suis bien au niveau du temps. Je décide de filer jusqu’au refuge de Bassiès où je ferai la pause repas. Un beau dénivelé m’attend après avoir couru plus d’une heure. En cours de montée, je subis une averse de grêle. Plus je prends de la hauteur, plus le froid transforme les petits tas de grêlons en glace. Je croise un mulot immobile. A mon passage, il s’en va avec difficultés. A-t-il froid ? Je continue et j’arrive sur un plateau avec un barrage. Selon le temps indiqué sur ma montre, je devrai être au refuge. La pluie redouble, le vent est de la partie et l’ambiance est glaciale. J’aperçois une cabane, le refuge ? Difficile d’accès, j’y vais quand même. Fermé ! Je ris jaune. Tant pis, je me colle contre un mur de la bâtisse et je me fais à manger à l’abris de mon poncho (l’ami du voyage).
C’est repus et quelque peu refroidit que je repars. Je suis motivé à presser le pas pour me réchauffer et là, stupeur, le refuge de Bassiès est dans une cuvette au milieu des montagnes derrière l’étang de Majou. J’aurai continué un peu, je l’aurai trouvé. Je suppose que je paie un petit manque d’expérience. Rien de grave cependant, j’ai quand même repris des forces et je trace la route. La suite est difficile, pieds dans l’eau, passages en lacets pour descendre et toujours la pluie. Malgré tout cela, je prends énormément de plaisir. C’est la meilleure journée depuis mon arrivée. Bientôt, je reconnais les chemins qui entourent AULUS. Je m’éclate rempli de souvenirs. Je me sens très bien, est-ce que je pousse jusqu’à St LIZIER ? Une discussion avec un randonneur me dira que non, sagesse ! Je décide donc de trouver un gîte pour la nuit. Un peu de répit dans cette aventure nouvelle.
Je suis accueilli chaleureusement au gîte Le Presbytère, même sans réservation. Je discute, je prends une douche, je range mes affaires, et je vais faire un tour en téléphonant à ma chérie. Un moment d réconfort qui fait du bien ! On dira que c’est de la triche mais j’ai pris demi-pension. Un bon repas entouré de gens fort sympathiques, une cuisinière au top et le petit verre de rouge qui va bien. Je ne vous parle pas du dessert, clafoutis aux poires, Hummm. Je mets à sécher mes affaires devant la cheminée et je souhaite la bonne nuit à tout le monde. Petite toilette, quelques soins (surtout des pieds) et je me couche. Le lendemain, je me lèverai très tôt pour un départ de nuit, la dernière étape de mon épopée. J’ai parcouru cent trois kilomètres en trois jours et je souhaite atteindre les cent vingt. Total revu à la baisse car avant le départ, je prévoyais cent cinquante kilomètres sur le GR10.
11/09/2017
Je me réveille avec le maximum de silence possible, je prépare mes affaires et je me dirige vers la salle à manger. Je termine de sécher mes chaussures au sèche-cheveux et en avant le festin. Pain de campagne, confitures maison, brioche, quatre-quarts, … Je me fais explosé la panse, quel bonheur ! C’est donc avec le plein et un maximum d’énergie que je quitte AULUS-LES-BAINS. L’instant est magique, je sens Shorty à mes côtés. Les prochains chemins sont ceux que nous avions parcourus ensemble en compagnie de mon amie et de son chien Vinyl. Je monte avec aisance et arrivé au sommet, au-dessus de la cascade d’Ars, je décide que l’endroit est propice. Je m’accorde un cérémonial pour ma chienne partie un mois plus tôt. J’enterre un peu de ses cendres au pied des panneaux du GR10 sur le Col d’Ars (1485m) et je place deux cairns par-dessus. Je jette quelques poignées au-dessus de la rivière qui se déverse dans la cascade. A mon passage l’année suivante, son énergie me donnera de la force.
Je continue et le parcours me fait redescendre. Passage près de l’étang de Guzet. Shorty s’y était baignée. Je fais le détour et je lui rends un nouvel hommage en jetant quelques cendres au bord de l’étendue d’eau. La Transpyrenea aura pour moi quelque chose de mystique… J’entreprends bientôt l’ascension qui passe le long de la cascade du Fouillet avec d’autres souvenirs, un parcours en amoureux avec ma chérie. Je suis bien. Je bois dans les chutes d’eau grâce à la paille filtre. Il pleut depuis deux jours, je ne risque pas de me déshydrater. Je croise quelques brebis et bientôt un puis deux randonneurs. Ils me donnent des informations intéressantes sur le GR. Je prends note. Les chemins sont rendus de plus en plus difficiles à cause de la pluie. Beaucoup de boue, terrain très glissant. Je suis vigilant et lucide. Je passe la station de ski de Guzet, je croise quelques autres randonneurs et bientôt j’entame la descente vers St LIZIER d’USTOUT. Je suis ému. Je n’ai pas réalisé l’aventure comme je l’avais prévu mais au final, l’objectif des cent vingt kilomètres en montagne est atteint. A l’horizon de St LIZIER, je me permets même un cri de joie. Je me relâche, je suis bien. Repas tranquille sous le porche d’un lavoir. Je prends mon temps. Pas de réseau, j’envoie un message texte à ma chérie dès que possible. A ce moment là, bilan plus que positif. Paysages magnifiques, animaux présents et fascinants : marmottes, vautours, izards, mulots, troupeaux (vaches, chèvres, chevaux) et une salamandre dans les derniers mètres. Mon corps a été adaptable avec de pures sensations au fil des jours et j’ai fait des rencontres bénéfiques dans l’entreprise de mon défi.
J’établis mon bilan et je devrai certainement faire des changements tactiques, stratégiques. Une chose me rassure : je ne pense plus cinquante kilomètres par jour mais simplement moyenne, je pourrai gérer en faisant des jours à quarante et d’autres à soixante par exemple. Bref, dans les deux premières portions de course (Pyrénées Orientales et Ariège), je pourrai très bien faire un minimum de quarante à quarante-cinq kilomètres par jour en rallongeant dès que possible. Au dire des anciens, les Pyrénées Ariégeoises sont les plus dures. Je les écoute d’une oreille attentive car pour le moment je ne connais pas les autres régions. Enfin, dans les derniers tronçons (Haute Garonne, Hautes Pyrénées et Béarn/Pays Basque), qui ont apparemment davantage de relances, je pourrai envisager des distances de cinquante-cinq à soixante-cinq kilomètres par jour, ce qui rattraperait l’écart et rééquilibrerait la moyenne quotidienne sur l’ensemble de la traversée. Bien sûr, pour le moment, tout cela n’est que pure théorie mais ces prévisions me redonnent une belle motivation.
A la fin de mes étapes de montagne, je ne souhaite pas partir…
Il me reste encore le dernier « petit » défi : Rejoindre St GIRONS en mode randonnée (pas de transport en commun en journée, seulement en début de matinée et nous sommes en début d’après-midi). Le périple s’annonce sympa au premier abord. Je rends un dernier hommage à ma Shorty, quelques cendres et un cairn au pied des pancartes annonçant la suite du GR10. C’est la fin de la deuxième étape en montagne pour le défi Transpyrenea.
Je pars donc sur la route et comme toute route de montagne qui se respecte, pas de place pour les piétons. Ca devient un peu dangereux quand même. Avec prudence, sur la première heure, j’avance en comptant les voitures sur les doigts de la main. J’ai un bon rythme malgré la pluie toujours présente. Je suis amusé de voir écrit « BARDET » sur le sol. Et oui je marche sur le circuit d’une étape du tour de France, marrant. J’arrive à SEIX, les pieds sont douloureux mais rien de grave. Les chaussettes et les chaussures sont trempées, je ressens des frottements. Je passe OUST et j’arrive à un rond-point où deux routes sont proposées pour St Girons. Axe normal ou route des « tunnels ». Je me dis deuxième option, peut-être moins de monde et plus de sécurité (la blague).
Mon voyage se transforme en calvaire. Les voitures me frôlent, je n’existe pas… Arrivent les tunnels, le noir total. Je dois courir pour les traverser, plutôt vite d’ailleurs… Je paie mes efforts en sentant une grosse gêne sous le pied gauche. Je m’arrête et j’enlève la chaussure. Une ampoule énorme. Je ne connais pas, mal inédit, première expérience. Le pied n’a pas aimé l’humidité des baskets et les frottements répétés à cause des nombreux pas cadencés sur le bitume. Je n’ai pas le choix, je remets la chaussure et je décide de m’aider des bâtons. J’ai fait vingt-trois kilomètres depuis St LIZIER d’USTOUT. Je ne sais pas combien il en reste : cinq, sept, plus … Je prends sur moi et je progresse tant bien que mal. Je passe LARCOURT et bientôt, à la nuit tombante, j’arrive à St GIRONS. Je me relâche et je marche à tous petits pas. La fatigue ne me permet plus de réfléchir. Je cherche un hôtel, un endroit pour manger, la gare routière pour ne pas rater le car qui me permettra d’aller à Toulouse prendre le train. Je tourne et j’erre en ville. Je marche encore longtemps, trop longtemps. Je décide de manger dans un parc. Un porche est un abri minimum, je m’enroule dans mon poncho. Installation de fortune, j’avale mon repas. J’appelle ma chérie, ma tête est dans la montagne, je ne suis pas lucide. Mes pieds me font souffrir. Je décide de repartir car le froid me paralyse. Mon état physique m’oblige à me diriger vers un hôtel, peut-être trop tard ? A mon arrivée, le gérant me dit que c’est complet, pas de chance. Je crois que je vais dormir dehors… Appel à ma chérie qui se démène pour m’aider à distance. Grâce à elle, je trouve l’arrêt du car qui me rapprochera de chez nous. Maintenant, je dois trouver un coin où squatter, dur. Je me mets sur un parking derrière la permanence SNCF. Je prends soin de mes pieds, de mes genoux et je me lave les dents, petit bonheur dans ce dur moment. Je m’aménage un lit de fortune (avec le tapis de sol trouvé à Goulier) et je suis bien, il ne fait pas froid, le poncho me protège. Soudain, il se met à pleuvoir, je ramasse comme je peux mes affaires et je file sous un abri bus. Problème : il fait très froid. La pluie semble s’arrêter, je retourne sur mon parking. Je suis bien. Et, à nouveau, la pluie redouble. Je me serre contre mes sacs et je cache tout ce petit monde sous le poncho. Bientôt, la pluie est trop forte. Quoi faire ? Un arbre est derrière, je tâte le sol, il est sec, la pluie ne l’atteint pas, ouf. Je refais un aménagement de fortune et je me repose. Encore une fois, la pluie devient plus forte, je suis maudit, que dois-je comprendre, humilité ? Je retourne sous l’abri bus. Je n’ai pas plus chaud mais au moins je suis un peu mieux protégé. J’attends une seule chose, l’ouverture d’une boulangerie. Par chance, il y en a une à deux pas.
Cinq heures quarante-cinq du matin, du mouvement. Je vais voir et on m’ouvre la porte. Pains au chocolat, croissants, chocolat chaud, un régal, je m’offre deux tournées dans la chaleur de la cafétéria de la boulangerie. Je prends mon temps, je sors à six heures quarante-cinq et je décide de marcher pour maintenir une bonne chaleur corporelle. La fatigue est toujours présente après ma nuit mouvementée, je fais de mon mieux pour ne pas me refroidir. Au lever du jour, j’entrevois la ville. J’aurai presque oublié qu’on est encore en montagne. Je m’achète une revue sur le trail et je retourne une dernière fois sous l’abri bus.
Sept heures quarante-cinq, je me prépare, à l’affût, pas question de rater le car !
Huit heures trente-deux, le car arrive, ouf, grand ouf ! Je monte, je me pose, soulagé, je dors. Après plus d’une heure de route, nous arrivons à Toulouse. J’achète un sandwich et allez, un muffin chocolat noir, plaisir après tout. Un homme joue du piano, la vie est cool.
Bientôt, le train pour Nantes arrive. Je monte, j’écris et je me repose. Dans les wagons, je peux recharger mon portable et prévenir mes proches que je suis bien sur le trajet du retour.
Arrivé en gare, je retrouve la famille, des images plein la tête, l’esprit montagnard, le cœur chaud et l’énergie de Shorty.
Comments